Comme à son habitude dans ses films, il brasse des sujets forts, qui se dévoilent petit à petit au bout d'un certain temps, implicitement ou explicitement, et rejoignent même notre réalité de contemporains. D'un seul trait, Kechiche fixe un lien entre notre société et celle passée, toujours bel et bien proche, d'un pessimisme réaliste, toujours dans le ton de ce qu'il a déjà fait, mais cette fois-ci sans concession. "Venus Noire" se révèle comme une oeuvre forte, éprouvante, qui mettra au bout d'un long moment tout son public mal à l'aise.
En effet, on tient là un film d'une puissance inouïe, chose extrêmement rare, d'autant plus que c'est français. Bien que sensiblement différent, la dernière fois que l'on a vu une pareille déferlante de chocs, c'était avec "Martyrs" en 2008. Avec "Venus noire", perle unique s'il en est, le spectateur reçoit une petite claque intense et sordide, inattendue. Kechiche prend soin de filmer toujours ses personnages au plus près afin de mieux les suivre dans leurs douleurs et leurs péripéties. Ajoutez a cela un soin tout particulier pour des décors grandioses et d'une belle reconstitution, ainsi qu'un cadrage parfois proche de l'esthétique du tableau, ou encore des mélodies, rares, mais très réussies. Tout est alors en place pour que Yahima Torres incarne cette vénus hottentone aux formes surprenantes, et pourtant bien humaines, dont sauront profiter les autres. Kechiche nous embarque alors dans cette longue épopée sur les traces de l'histoire de Saartje Baartmen, destin violé, décimé.
A partir de là, on aurait pu s'attendre à un "Elephant man" au féminin, mais il n'en est rien, Kechiche fait à la fois le tracé de l'histoire qu'il veut raconter, tout en impliquant des sujets plus vastes pouvant prêter à confusion. Il ne prend aucun parti, tour à tour, spectateurs comme spectacles de cette hottentote sont filmés. On peut profiter du spectacle en tant que spectateurs nous même, mais problème, où démarre le spectacle ? Où s'arrête l'illusion ? Où se situe la frontière de l'art ? Ses limites ? Sommes-nous voyeur ou spectateur d'un spectacle dont l'illusion nous est sensiblement imposée au tout début ?
La difficulté de ses thèmes évoqués, s'ils ne trouvent pas forcément de réponses, se montreront explicitement dans toutes leurs compléxités lors d'un certain procès, rajoutant de la difficulté au spectateur à se situer vis à vis du film et ce qui suivra par la suite. Et tout cela est renforcé par une énième mise en abyme entre le réalisateur et ses acteurs eux-même, en effet, où démarre le jeu ? Peut-être l'actrice ressent-elle également de l'humiliation à jouer ses scènes ? Jusqu'où peut aller le réalisateur dans son désir de délivrer un spectacle ?
Et ça ne s'arrête pas là, le personnage de cette vénus noire, dont les formes amènent directement de viles pensées, est-elle contrainte à vivre le désir des autres ? Désir physique, voire même intellectuel ? Tout le monde y passe, Kechiche ne fait pas dans la demi-mesure, l'âme de cette jeune femme va se perdre peu à peu dans ce que l'on fait d'elle, jusqu'à ne devenir plus qu'un jouet usé jusqu'à la moële. Ainsi s'efface l'artiste, ainsi né cette femme objet. Portrait d'une société toujours plus sur le déclin, où l'art est contraint au silence, et le physique au regard d'autrui.
Néanmoins, gros point noir tout de même, la durée du film, 2h40 qui semblent très longues, non pas qu'elles soient foncièrement ennuyantes (encore que lors de certains passages...) mais un montage raccourci d'une bonne vingtaine de minutes, si ce n'est plus, aurait aidé. On ressent en revanche le désir de Kechiche de raconter cette histoire dans ses plus amples détails, quitte à en desservir le film, dommage. A classer en dessous de "La graine et le mulet" et "L'esquive".
Matt.G
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